En ce temps-là, le pouvoir se morcèle entre les différents seigneurs, qui se disputent les meilleurs fiefs. L’Eglise profite de cette division pour accroître son pouvoir temporel.
La société féodale repose sur des relations « contractuelles » de type hiérarchique : le vassal rend hommage à son suzerain, ce qui implique obéissance d’un côté et devoir d’assistance de l’autre. Ces relations hiérarchiques, apparemment simplistes sont en fait très complexes car ce n’est pas l’individu qui rend hommage mais le possesseur de la terre. Pour chaque acquisition de terres l’acheteur doit faire allégeance au seigneur : celui-ci sera perçu comme un collecteur fiscal car pour chaque possession il faut lui payer une rétribution annuelle, « le cens » et des droits de mutation en cas de changement de propriétaire.
Les formules, transmises dans les actes notariés, précisent que l’acheteur rend hommage à son seigneur, « à genoux, les mains jointes », ceci symbolisant le serment d’allégeance (cela se termine par un baiser et la formule « tu es mon homme » d’où le terme « hommage »…). Mais lorsqu’un même individu a rendu hommage, pour plusieurs terres, à des seigneurs différents, à des moments différents, cela conduit à un enchevêtrement inextricable des relations contractuelles. Elles règlent les droits accordés et les servitudes associées : droits attachés à la terre, « sous-traitance » de droit d’imposition voire de justice, dans les grands domaines de plaine des communes voisines de Chandolas, service d’impôts censitaire annuels, droits de vente, de succession … Ceci va entraîner la prolifération des notaires pour consigner par écrit tout cela, et par la suite des avocats car chacun sait que si l’on passe un contrat écrit c’est pour pouvoir avoir le plaisir de chicaner sous la protection du « papier », plus interprétable que l’engagement verbal « la parole donnée » qui, elle, relie les membres de la communauté dans le quotidien …
Pour en revenir à notre petit pays, sa terre est caillouteuse et n’intéresse pas les grands de ce monde ; mieux vaut laisser les paysans libres trimer sur leur petit lopin et prélever l’impôt sur ce que leur labeur opiniâtre leur aura permis de produire, que de mettre en valeur directement ces terrains rebutants. Chandolas sera donc un pays de petits propriétaires libres, ils sont assujettis pour le prix de cette liberté de payer impôt au seigneur.
Par ailleurs l’Eglise, elle aussi, va percevoir sa part d’impôts : la dîme, payée sous forme de prélèvement sur les récoltes. Ceci va au bénéficiaire de la paroisse (on peut donner ou vendre des cures) qui reverse au prêtre la « portion congrue », qui lui permet de vivre en privilégié : il sait le latin, connaît la lecture et l’écriture, agit en contrôleur génétique en contrôlant les mariages pour limiter les consanguinités et il n’a pas besoin de se salir les mains pour vivre. Mais sa vie est aussi frugale que celle de ses administrés, il doit se battre pour obtenir de menus avantages : un jardin, un peu d’argent pour se payer de l’aide. Ce sera, là encore, source de chicane avec la communauté.
Cette organisation sociale va se maintenir jusqu’à la révolution et expliquera encore le comportement de la communauté jusqu’à un passé récent : les petits tenants seront attachés à leur liberté individuelle, à l’initiative innovatrice et relativement perméables aux idées avancées.
Les premiers seigneurs (les Chateauneuf-Randon vraisemblablement) n’ont pas laissé de trace et rapidement Chandolas va tomber sous la coupe des templiers. Ceux-ci se sont installés à Berrias dans l’ancienne et profonde forêt de chênes, encore hantée par le souvenir des druides, à Jalés. Le château de la milice, partie la plus ancienne de la commanderie, est bâti, avec des pierres de taille assemblées par agrafes sans mortier, entre 1125 et 1130 sur un terrain appartenant à la famille des Chateauneuf-Randon (dont un des représentants figure parmi les premiers miliciens). Les pierres ont été extraites de la carrière de la Teyssière à Berrias, achetées pour la circonstance à Pons Vidal. Les argiles marneuses du lieu serviront à fabriquer les tuiles romaines de couverture et les carreaux des appartements.
Ces templiers deviennent donc seigneurs de Chandolas-Maisonneuve.
Ils entretiennent de très bons rapports avec l’évêque de Viviers Nicolas : celui-ci cédera au commandeur Guillaume de la Jarrie, en 1187, les églises de Chandolas et d’Avonas ; les templiers deviennent à la fois seigneurs et propriétaires des cures, double rentrée d’argent ! Le cens est payé en argent ou en nature (poules, porcs, agneaux, journée d’homme ou journée de boeuf), à la commanderie une fois par an, à la saint Michel. La dîme est rassemblée sous forme de récoltes (blé, agneaux, poules ou géline).
On vous montrera à la sortie du village, à côté du Christoulas, dans l’embranchement des chemins menant à la rivière « le champ de la dîme », lieu de rassemblement des marchandises.
Les templiers, membres d’un ordre combattant de participation aux croisades, semblent vivre en bonne intelligence avec les rescapés Arabes réfugiés dans les hameaux retirés (la Sarrazine …) ; ils possèdent une grange à Chandolas qui sera l’embryon d’une extension du village (actuelle maison Dalzon, dit-on).
Les templiers ne semblent pas avoir participé à la croisade des Albigeois, menée par Simon de Montfort puis Saint Louis. Le saint roi, en fait, poursuivait l’objectif de faire main basse sur les richesses du Sud et de réduire la puissance des comtes de Toulouse. On suppose que la tiédeur de la participation des templiers à cette expédition (qui allait marquer la prééminence des seigneurs du Nord sur ceux du Sud) aurait été due à leurs rapports de courtoisie avec l’évêque de Viviers Nicolas. Celui-ci avait été mis en demeure de démissionner, sa famille ayant été séduite par les idées des Cathares ; par ailleurs un des fondateurs du temple (Hugues de Payns) est supposé avoir été Cathare … Cependant sur le plan temporel, l’affaiblissement du comte de Toulouse arrangera bien l’évêché dans sa dispute pour le contrôle des mines d’argent de Largentière.
Le dernier commandeur templier sera Pierre de Peyremale ; en 1307, 33 chevaliers sont emprisonnés à Alès. Le temple (trop riche et trop puissant) faisait de l’ombre au roi de France … L’inventaire des biens est effectué en 1311 : cela fait apparaître que la commanderie de Jalès est l’une des plus riches du Prieuré de Saint Gilles ; le « repreneur » sera l’ordre des « hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem » ou « chevaliers du Saint Sépulcre » ou « ordre de Malte », un ordre chasse l’autre et s’enrichira à sa place.
Le moyen Age c’est aussi la peste … Epidémies de peste noire en 1348, 1450, 1459, 1483, la terre tremble à Uzès en 1448. Certains villages accusent 2/3 de pertes de population ; l’Uzège perd globalement 1/3 de sa population.
Les villages se mettent à l’abri en s’isolant, on se méfie des étrangers. Souvenons-nous, le siècle dernier, il y avait encore de la vigne à Goularade (la lambrusque actuelle en est témoin) ; en piochant des villageois ont trouvé l’orifice d’une grotte (grotte de la vigne de Thoulouse), horreur … Près de l’entrée se pressent trois squelettes, derrière le mur que la pioche a éventré. Un savant local est alors appelé qui, après constatation, fait rebâtir le mur. La légende des emmurés de Chandolas a pris naissance : mesure prophylactique, mise à l’écart de voyageurs suspects …
Si vous voulez lever le doute cherchez et piochez.
Les routiers, avec ou sans Duguesclin (qui va trouver la mort à Chateauneuf de Randon) errent sur les routes, pillant, brû1ant, violant sur leur passage. Maisonneuve (Avonas à l’époque) aurait, selon les sources les plus répandues, été détruite à cette époque par les « grandes compagnies ». En 1426, les Anglais du prince noir menacent Uzès, le roi Charles VII intervient en personne. La violence appelle la violence : en 1440 les arbres le long des routes s’ornent des cadavres des routiers pendus. Les gelées détruisent les récoltes : les oliviers gèlent en 1440. La misère est grande dans le petit peuple, mais la révolte de nos voisins en 1380 (jacquerie des Tuschins) n’a pas laissé de souvenir chez nous, seule la commanderie a été menacée.
En 1307, nos voisins du Vivarais ont été rattachés à la couronne de France. Nos histoires vont, peu à peu, se lier. La frontière entre Vivarais et Uzège se situe vers Pazanan, ici se dresseront les fourches patibulaires marquant les droits de justice des seigneurs de Jalès … Pazanan, poste frontière, jusqu’à la révolution. Chandolas, en position frontière entre Vivarais (diocèse religieux de Viviers) et Uzège (diocèse civil d’Uzès), a été l’objet de luttes d’influence. En 1283, un conflit oppose le roi et le commandeur de Jalès en ce qui concerne les limites des juridictions judiciaires, matéria1isées par l’emplacement des « fourches patibulaires » où l’on pend les condamnés à mort. Le commandeur protestera et obtiendra satisfaction.
« L’an 1283 et le lundi du Caresme prenant, le commandeur, avec le viguier d’Uzès, avec un certain nombre de gens de Berrias, de Chandolas et autres lieux, se transportèrent en certain endroit dans le terroir de Chandolas, entre la Combe de Freissinet et le chemin public qui passe à Sion (Assions ?). Etant arrivé audit endroit, ledit viguier déclare qu’estant passé par ledit lieu quelque temps auparavant avec nombre de gens, il aurait trouvé audit endroit des fourches élevées par le commandeur avec un homme pendu à la poursuite desdits officiers dudit commandeur à cause d’un homicide qu’il aurait comis audit endroit, et que le dit viguier aurait fait abattre lesdites fourches et aussi fait planter celles du roi où il aurait fait remettre ledit pendu, et que suivant le jugement qui aurait été rendu par le sénéchal pour réparer le tort fait audit commandeur et le remettre en possession desdites fourches et dudit homme pendu, ledit viguier fit abattre les fourches qu’il avait fait placer pour le roi et donna consentement que les fourches du commandeur fussent élevées de nouveau, ce qui fut fait, et les os dudit homme pendu qui furent trouvés par terre furent mis dans un sac … »
Acte de justice donnant satisfaction au commandeur de Jalès dans son conflit avec le roi (1283)