C’est la révolution, peu de remous de prime abord … Paris est loin !
L’homme fort de Chandolas va être Jean-Joseph Thoulouze. Il appartient à une famille d’hommes de loi. Il est né à Chandolas le 04 mars 1754 ; il est avocat, sa famille a connu la peur des masques armés, il a été séduit par les idées nouvelles et deviendra un ardent jacobin. En parallèle un autre Thoulouze fera son chemin dans l’armée Napoléonienne mais mourra à Smolensk (voir le document annexé), baron d’empire (son portrait, à cheval, était exposé au domaine de La Roche et valait son surnom « le baron » au dernier Thoulouze vivant à Chandolas).
En janvier 1790, Chandolas quitte définitivement l’Uzège (avec les communes voisines que l’on appellera bien plus tard le « pays des Vans ») et se trouve rattaché au département des « sources de la Loire ». En mars le nom du département devient l’Ardèche. Le nombre de « districts » (équivalent de nos arrondissements) est alors ramené à trois
- Coiron
- Mézenc
- Tanargue
Nous ferons partie du district du Tanargue dont le chef-lieu est à Joyeuse. Fin 89, pour mettre fin à l’anarchie ambiante, des élections municipales sont décrétées par l’Assemblée Nationale; on va constituer dans chaque commune un « conseil général de la commune », il comprend des élus du corps municipal et des notables.
Les électeurs du conseil seront les « citoyens actifs ».
Pour avoir ce droit il faut :
- être français
- résider dans la commune depuis un an au moins
- avoir plus de 25 ans
- payer une contribution d’une valeur minimale équivalente de 3 jours de travail
- ne pas être serviteur à gage
Le maire est élu par ces citoyens pour 2 ans, le conseil est renouvelable par moitié tous les ans.
L’établissement du tableau des électeurs doit faire l’objet d’âpres marchandages ! L’élu sera Joseph-Paul Thoulouze; sa signature apparait dans les registres d’état civil à partir de « la 4ème sans culottides an II ». Auparavant l’état civil a été tenu par Jean-Pierre Boutières, membre du conseil, chargé de l’état civil.
Le conseil se réunit dans une pièce de la maison Deleuze, derrière le « pont » actuel au dessus du chemin, à la sortie de la place de l’école. Les parchemins y survivront jusqu’à la dernière décennie du siècle dernier où ils ont été jetés « à demi mangés par les rats ».
J.J. Thoulouze s’est lancé dans la politique, il participe aux activités de l’administration du district, il collabore avec la municipalité de Joyeuse.
L’événement local c’est en 1790 le premier rassemblement de Jalès, provoqué par la peur engendrée par les mouvements de protestants dans le Gard et organisé par la municipalité de Berrias. De Malbosc (encore lui !) aura bien du mal à expliquer à la foule de gardes nationaux venue de tous les environs en nombre inattendu – on parle de 20 000 personnes – la conduite à tenir. On réussit néanmoins à refroidir l’ardeur de cette assemblée disparate et chacun rentre chez soi. La municipalité de Joyeuse ramène ses canons qu’elle avait traîné là et à peine de retour regrette de s’être compromise dans ce qui pourra être interprété comme contre révolutionnaire et se désolidarise de De Malbosc.
La communauté de Chandolas, en tant que corps constitué, se fait remarquer par son absence totale au rassemblement, se distinguant par là des communautés voisines. Outre le fait qu’on doit être bien content d’être débarrassé de son seigneur, on a du se ranger aux avis du leader de l’instant, le clan Thoulouze.
Les ordres religieux sont supprimés le 13 février 1790, les baux à vie (emphytéoses) consentis à ceux qui cultivaient les terres du commandeur sont transformés sans autre forme de procès en entière propriété, beaucoup sont bien contents. En novembre, au district c’est la lutte pour la place de « procureur syndic du Tanargue »; Allamel de Bournet l’emporte sur Thoulouze, son ennemi intime.
En février 1791, on remet ça à Jalès, 12 000 personnes se réunissent. Cette fois, des contacts ont été pris avec des émigrés. Cela commence à sentir le chouan et les autorités réagissent. Le procureur Dalmas donnera l’ordre de dispersion. De Malbosc est emprisonné, il sera retrouvé mort au bord du Rhône (tentative d’évasion, meurtre déguisé ?).
Les partisans de De Malbosc à Berrias adoptent différentes attitudes. Certains s’effacent pour laisser passer la tourmente comme les Channac, par exemple : ils sont liés avec les Dussargues de Joyeuse, ils ont donc un pied de chaque côté ; le juge de paix de Banne, Channac dit La Faysse, qui a des terres à Toul sur la colline, défendra l’ordre avec les républicains contre les chouans. D’autres persévèrent, le maire de Berrias, Pierre Ducros, devra émigrer; à son retour il sera capturé et empoisonné dans sa cellule, d’autres encore se prépareront à une nouvelle résistance.
Rien de tel à Chandolas (s’il y a des chouans, ils se taisent prudemment).
Toute cette agitation a attiré l’attention des princes émigrés et lorsque le 20 avril 1792, nous déclarons la guerre à l’Autriche et à la Prusse, les princes émigrés envoient le marquis de Saillans organiser un foyer contre-révolutionnaire. Ça marche! Il est aidé par Claude Allier, prieur de Chambonas et le château de Banne est pris.
Cette fois c’est du sérieux. Boissy d’Anglas s’installe à Joyeuse (il deviendra célèbre en saluant à la convention la tête du député Féraud au bout d’une pique, présentée par la foule qui a tué ce député en envahissant l’Assemblée : les mauvaises langues de l’époque demanderont si Boissy a salué la tête ou la pique !)
En même temps une jacquerie éclatera à Joyeuse, elle sera mollement réprimée, le problème c’est les chouans ! Donc la répression s’organise : les chouans sont pris en tenaille par les 10 000 hommes du général d’Albignac venus de Pont Saint Esprit et la garde nationale venue de Joyeuse.
Le château de Banne est repris. Il sera brûlé et démoli ainsi que le château de la commanderie à Jalès. L’arrêté décrétant cette démolition a été signé par Boissy d’Anglas à Joyeuse le 13 juillet 1792.
Les municipalités qui ont été représentées dans le mouvement sont destituées, cela touche nos voisins (Banne, Berrias, St André, St Sauveur, Beaulieu, Malbosc, Chambonas, Brahic, Gravières, Chassagnes, les Assions, les Vans) ; nous échappons à l’atmosphère de délation et de suspicion qui suit la nomination de « patriotes » à la tête de ces localités!
Les chouans prennent le maquis, leur point de ralliement sera la forêt de Bauzon. Il faudra de nombreuses années pour réduire le mouvement. Ceci va partager la population en deux clans, les révolutionnaires et les chouans. Ce qui deviendra plus tard gauche-droite ou rouges-blancs. Et cela durant presque deux siècles.
Les combats se sont calmés faute de combattants.
A Chandolas, le curé Tournaire semble accepter le nouveau régime, il obtiendra un « certificat de civisme » de l’administration du Tanargue le 11 octobre 1793. Du coup, Thoulouze remplace De Bournet, poursuivi comme contre-révolutionnaire, au poste d’administrateur du district. En outre, il est élu député suppléant à la convention aux côtés du député en titre Gamon. Ce dernier voulait des tribunes spéciales pour les femmes à la convention. Il votera la mort du roi mais avec sursis. Après les événements parisiens de mai-juin 1793, il sera arrêté mais son beau-frère Gleizal (autre député de l’Ardèche) qui est « montagnard », le fera évader en Suisse.
Thoulouze sera ainsi appelé à siéger à la convention le 24 fructidor an II. Cela le remettra de ses aventures locales ; en effet à Joyeuse le comité de salut public mené par un certain Reynaud a destitué les administrateurs du Tanargue. Le chef-lieu est transféré un temps à Jaujac, Thoulouze est arrêté, le maire provisoire de Joyeuse est Crouzet ; à peine libéré Thoulouze prend contact avec le représentant en mission Chateauneuf Randon à Florac, celui-ci reviendra sur les décisions de Raynaud, Joyeuse redevient chef-lieu et notre Thoulouze, comme on l’a vu siègera à la convention après la chute des girondins.
Pendant ce temps « la patrie est en danger« , il faut des volontaires pour se battre. Oh ! soldats de l’an deux, il devait y avoir bien peu de paysans de chez nous parmi vous. En effet, les demandes de conscriptions ratent lamentablement, seuls des ouvriers et des trimards s’enrôlent; c’est beaucoup dire ils mangent et boivent leur allocation et rentrent chez eux… ; on décide d’envoyer les gendarmes aux armées, ils désertent … ; on établit la conscription pour les célibataires de 18 à 25 ans, qu’importe: on se marie, on se procure de faux certificats de mariage, on prend le maquis, les déserteurs se regroupent en bande dans la forêt de Bauzon, ils sont prêts à donner main-forte pour tous les mauvais coups … on peut aussi se faire remplacer (cela va créer pendant un siècle le « métier de marchand d’hommes » qui propose moyennant commission de vous trouver un remplaçant, mais avec les guerres les cours montent…).
Nous approchons du premier empire, les chouans se livrent toujours au banditisme, ils attaquent les percepteurs, coupent les arbres de la liberté ; le 10 floréal an VIII à Maisonneuve les chouans attaquent carrément la troupe, 5 soldats sont fusillés dans l’escarmouche; il en restera une « grotte des chouans », sans doute une tanière, à proximité de ce hameau.
Le préfet Caffarelli, un corse, qui connaît bien les régions de maquis, est un curé défroqué. Il conseillera à Fouché des méthodes de négociation avec les brigands plutôt que la force « une armée n’y suffirait pas pour rétablir l’ordre« . Il accordera l’amnistie aux « brigands » de tous poils : chouans, déserteurs, réfractaires.
Il écrira : « Il n’y aura qu’une longue habitude d’un gouvernement doux et ferme qui pourra changer le caractère des habitants et leur faire perdre des habitudes sauvages qui leur font compter pour rien la vie de leurs semblables quand il s’agit de venger ce qu’ils regardent comme une insulte…«
Tous les préfets suivants sous l’empire seront des hommes de confiance de Napoléon…
L’ordre revient après la tourmente ; l’agriculture commence à s’améliorer. La plantation de vignes s’amplifie, la culture du mûrier prend son essor. Les muletiers transportent le vin vers le Gévaudan sur le dos de leurs mules qui connaissent les chemins par coeur…et s’arrêtent de façon automatique et en bon ordre – on disait que les mulets se « quillaient » aux auberges et estaminets d’étape.
L’administration se remet en place, à Chandolas le cadastre est reconstitué dès 1808. Ce document est conservé en mairie et nous donne une idée exacte de ce qu’était le village sous l’empire, le chef-lieu reste isolé au bout de mauvais chemins, le peuplement s’étend sur trois parties:
- l’ancien village, autour de l’ancienne église et de son cimetière attenant
- autour de « la maison Thoulouze »
- autour de l’ancienne ferme du temple avec un début de prolongement vers ce qui deviendra le quartier de la « Croisette ».
Un petit artisanat est mentionné au hasard de l’état-civil. On est toujours agriculteur, mais la population augmente. On compte à présent autour de 700 habitants. Il faut des revenus d’appoint, on est donc cordonnier, menuisier, tailleur d’habits. L’échoppe du cordonnier est devenue un point de rassemblement. On y commente les nouvelles « le maire a été destitué, le nouveau … Tournaire a été nommé par le préfet…«
Le village de Maisonneuve, reste blotti vers la calade et une expansion commence, liée au trafic sur la route (de royale elle est devenue impériale) car la circulation est devenue plus sore.
Une auberge importante s’est construite (c’est la maison avec une grande grille de fer au centre de l’agglomération actuelle); la diligence s’y arrête et on y « relaie » les chevaux, la diligence s’ étant engouffrée sous le vaste porche, les passagers descendent se restaurer pendant l’opération; on raconte encore que l’on rajoutait là à l’attelage deux chevaux de renfort attelés en flèche, ces animaux étaient nécessaires pour gravir la côte du Pazanan : arrivé là-haut le cocher libérait l’attelage de flèche et nos deux chevaux redescendaient tous seuls vers leur écurie, en passant par les serres pour éviter les mauvaises rencontres…!
Autour de l’auberge s’installe le maréchal-ferrant, il est venu de Berrias où son père était établi car c’est près de la grande route de St Ambroix à Joyeuse qu’il y a le plus de travail.
La fille de l’aubergiste épousera le fils du maréchal, les enfants des deux familles étudieront dans les mêmes écoles.
A Maisonneuve, se remarque une grande demeure, signe d’un important domaine : la maison Thibon, actuellement résidence secondaire, au bas du village. Les guerres de l’empire n’ont pas laissé de gros souvenirs ici (avec l’exception notable du baron Thoulouze) : l’argent des magnans permet de se payer un remplaçant …et il n’y a pas beaucoup de gendarmes pour chercher les réfractaires, par ailleurs parmi ceux qui ont tiré un mauvais numéro, certains se feront passer pour simples d’esprit, ils feront mine de ne pas comprendre le français et l’armée ni aura que faire de cette mauvaise graine.
Le destin de Jean–Martin Thoulouze, baron d’empire
Fils de Paul, notaire royal, et de Thérèse Berard. Famille de bonne bourgeoisie du Bas-Vivarais, qui compta des hommes de loi et des propriétaires. Jean-Martin s’engage soldat au I0e régiment d’Infanterie le 27 décembre 1783. Caporal le 1er juin 1787 ; sergent le 1er juillet 1788. Fait la campagne des Alpes en 1792; sous-lieutenant le 28 octobre 1793. Au siège de Toulon, l’un des premiers qui entra dans la grande redoute dite de Gibraltar.
Campagne d’Italie ; capitaine dans la 19e demi-brigade, le 1er floréal an III (3 avril 1795). Bonaparte donne l’ordre de le faire entrer capitaine dans la 69e demi-brigade, le 1er pluviôse an VII (20 janvier 1799)
Campagnes d’Egypte et de Syrie. Blessé d’un coup de feu à la tête, le 20 floréal an VII (9 mai 1799), à la tour de Brèche au siège de Saint-Jean d’Acre où Napoléon Bonaparte est tenu en échec sous le feu organisé par Philippaut, son ancien condisciple à Brienne .
Revenu en Europe, le capitaine Thoulouze passe à l’armée d’Angleterre (ans XII et XIII / 1803-1805). Nommé capitaine de grenadiers à la réorganisation de la demi-brigade, le 1er thermidor an X. Membre de la Légion d’Honneur le 18 décembre 1803. Il passe à la Grande-Armée de vendémiaire an XIII à l’an XIV (octobre 1804-805) ; blessé d’un coup de feu à la cuisse droite, le 22 vendémiaire an XIV – 14 octobre 1805, à l’abbaye d’Elchingen. Nommé chef de bataillon le 5 août 1806 au 35e régiment d’Infanterie. Le 23 août 1809, il est colonel au 12e régiment d’Infanterie de ligne. L’inspecteur général le note ainsi dans son rapport : « Officier distingué sous tous les rapports » .
Il a montré beaucoup de bravoure et d’intelligence. Très instruit, a tout ce qu’il faut pour faire un bon officier supérieur. Nommé chevalier de l’Empire à Breslau le 12 octobre 1808 ; titré baron héréditaire de l’Empire par lettres patentes du 9 mars 1810 ; donataire (rente de 4000 F) sur le Trasimène par décrets impériaux des 19 mars 1808 et 15 août 1809. Le 28 septembre 1809, il obtient pour son neveu Paul une place d’élève à l’Ecole militaire de Saint-Cyr aux frais du gouvernement.
Le colonel baron Thoulouze, âgé de quarante-trois ans, a quelque autre beau souci que de cueillir des lauriers sur les champs de bataille, comme en témoigne sa lettre à son Excellence le ministre de la Guerre, comte d’Hunnebourg. « Désirant laisser un successeur au titre dont m’a honoré Sa Majesté l’Empereur et Roi et étant dans la ferme persuasion que la meilleure preuve de ma reconnaissance est de laisser, après moi, un enfant destiné par mes soins au service et l’entier dévouement à Sa Majesté, m’ont fait prendre (sic) la résolution de demander à son Excellence, la permission de me marier ». Il demande à épouser une personne appartenant à une famille noble, prussienne d’origine, établie en Pologne la fille de Grabowski, « ci-devant conseiller à la Chambre des Guerres et des domaines du roi de Prusse, présentement conseiller du roi de Prusse à Bromberg«
Le comte Stanislas Grabowski était le fils illégitime du roi Stanislas-Auguste et de la comtesse Grabowska. D’autres officiers français du 3e corps (Friant) en Pologne accomplirent des alliances similaires à Bromberg. Le colonel Thoulouze réalisa-t-il l’union projetée ? On n’en trouve pas la preuve dans son dossier. De toutes façons, nommé officier de la Légion d’Honneur le 18 juin 1812, il est mortellement blessé le 19 août, emmené dans une ambulance à Smolensk, où il meurt le 21.